Anecdote du billet de théâtre

Les membres étaient souvent fort généreux à l’égard de leurs guides. Souvent, les guides rendaient de fiers services à leur Monsieur, et ces derniers se montraient fort reconnaissants. Revenons, en arrière pour raconter l’histoire de Baptiste Beauramé. Le récit est d’après l’œuvre de Mme Raymond Shipman Andrews, Bob and the Guide.

Au début du siècle, les habitants du Québec étaient souvent de gens de peu d’instruction, et beaucoup d’entres eux savaient à peine lire, Les Messieurs du Club Triton représentaient un autre monde, situé tout à fait en haut de l’échelle sociale. Un tel contraste peut produire, de curieuses situations.

Baptiste Beauramé, un gaillard de 23 ans du petit village de Sainte-Anne, avait promis son amour à Julie Gagnon, une jeune fille de 20 ans. Le couple de tourtereaux ne demandait qu’à convoler en juste noce, mais n’avait pas encore les économies nécessaires pour envisager la fondation d’une famille.

Baptiste Beauramé était l’un des plus forts de tous les guides du Triton. Sans cette force exceptionnelle, il n’aurait jamais pu être le héros de la drôle d’aventure qui suit. On était en juin, et Baptiste était l’un des guides d’un Monsieur très riche. Le Monsieur, qui pesait au moins 225 livres, aimait bien Baptiste, et le choisissait toujours pour l’accompagner à la pêche. Le temps était couvert ce jour-là. Le Monsieur et son guide Baptiste s’étaient rendus sur la berge de la rivière à Poêle, où le poisson mordait à souhait. Plus le poisson mordait, plus le Monsieur était excité. Son enthousiasme grandissant le fit s’aventurer dans les rapides, où il se mit à sauter de roche en roche, lançant sa ligne dans des trous qu’il n’aurait pu atteindre du rivage. Baptiste, resté sur la rive, lui conseilla la prudence, mais le Monsieur, trop animé, ne répondait que par de joyeux grognements.

Dans son euphorie, le Monsieur perdit l’équilibre, glissa et fut emporté par le courant rapide et puissant d’eaux plus profondes. Il ne savait pas nager, mais heureusement, la rivière tournait un peu plus loin, et bien que l’eau y ait été profonde, le Monsieur n’était pas très loin de la rive. Baptiste lui cria, et lui tendit la main. Il y avait un escarpement de quatre pieds à cet endroit, et Baptiste ne pouvait compter que sur sa force herculéenne pour lui venir en aide. Ce ne fut pas une mince affaire que de le sortir de là, mais le guide parvint à lui sauver la vie. Une fois sorti de l’eau, le Monsieur était tout pâle, et cherchait son souffle.

– Baptiste, dit finalement le Monsieur, tu m’as sauvé la vie, je ne t’oublierai pas.

Ils retournèrent vite au camp. Le dernier soir de son séjour en forêt, le Monsieur fit appeler Baptiste à sa chambre du Club House.

– Baptiste, as-tu une fiancée ?

– Oui Monsieur.

– Donne-lui ça, avec mes compliments, et dis-lui de t’amener au théâtre quand vous irez en voyage de noces à Québec.

C’était un bout de papier, écrit en anglais. Baptiste, qui ne savait même pas lire le français, crut que c’était un billet de théâtre, et mit le bout de papier dans sa poche. Le lendemain, Baptiste retrouva Julie. Après qu’il lui eut tout raconté, celle-ci regarda le « billet ». Surprise et intriguée, elle fronça les sourcils et plissa la bouche. Elle devint soudain très moqueuse, et s’amusa à faire une cravate pour son fiancé avec le papier. Mais Baptiste lui demanda de le mettre dans ses affaires, et comme Julie était soucieuse de garder tout ce qui pouvait servir, elle ouvrit un coffret, dans un tiroir qu’elle partageait avec ses jeunes sœurs, et l’y déposa. Un peu déçue, Julie se demandait bien pourquoi le Monsieur n’avait pas donné cinq, ou même dix dollars à Baptiste, ce qui aurait tout de même été plus utile. Pendant des mois, on n’entendit plus parler du papier.

Dans la semaine de Noël, Bob Morgan et un groupe de ses amis se retrouvèrent en visite dans la forêt laurentienne, avec Baptiste comme guide. Charles, le cousin de Bob était chargé de veiller sur le groupe. Bob et Charles manifestèrent le désir de connaître le mode de vie des habitants, et c’est pour répondre à ce souhait que Baptiste leur offrit l’hospitalité, chez-lui à Sainte-Anne. Baptiste envoya ses quatre jeunes frères chez son oncle et donna leur chambre commune à Charles et Bob.


M.Albert Worken exhibe une belle prise.

Curieuse, Julie mourait d’envie de connaître ces étrangers et les invita chez ses parents. Alors que le groupe était en route vers la maison des Gagnon, les gens du village étaient tous à leurs fenêtres pour voir passer ces étrangers. Charles et Bob, cependant, ne s’en aperçurent pas, jasant de chasse et d’autres choses avec leurs hôtes. Lorsqu’ils frappèrent à la porte. Julie les attendait, en compagnie de ses parents et de ses trois sœurs cadettes. Le père et la mère gagnèrent bientôt leur chambre et les trois jeunes sœurs s’assirent ensemble près du poêle, les yeux fixés sur le jeune Bob Morgan, un grand et beau garçon, vêtu de la façon la plus élégante. Les jeunes filles étaient enchantées d’entendre Bob leur parler avec son mélange personnel d’anglais et de français, comme s’ils les avaient toujours connues. On s’amusa, on chanta, on dansa même la danse du sabre, un balai tenant lieu d’arme blanche.

On faisait tant de « barda “que le père Gagnon se pointa en haut de l’escalier pour voir ce qui se passait. On en vint à parler de la forêt, et du métier de guide de Baptiste. Julie, fière d’être fiancée à un homme si fort, demanda à Bob s’il était au courant de l’aventure que Baptiste avait eue avec le Monsieur de 225 libres. Bob savait, mais fut très surpris quand on lui parla du ‘billet de théâtre’.

– Un billet de théâtre ? C’est la chose la plus étrange que j’ai entendue de toute ma vie. C’est impossible qu’il t’ait donné ça, Baptiste !

– Mais oui ! Le Monsieur a dit que c’était pour aller au théâtre. C’est un morceau de papier rose.

– Mais c’est un chèque, Baptiste !

Après que Baptiste lui eut décrit de façon détaillée le bout de papier, Bob, avec une joie anticipée, demanda qu’on lui montre le papier, mais Julie, fouillant dans son coffret, ne le trouvait plus. C’est, l’une de ses jeunes sœurs, Marie, qui l’avait pris. Mais Marie ne se souvenait plus de ce qu’elle en avait fait. Marie réfléchissait, portant un doigt à ses lèvres.” Est-ce que je l’ai jeté ? Est-ce que je l’ai brûlé ? » Elle se souvint finalement qu’elle l’avait pris pour envelopper ses épingles à cheveux, et s’était servie de quelques-unes des épingles pour retenir le tout, le passant à travers le papier. Elle revint bientôt avec le « billet », qui était tout chiffonné, et qui ressemblait à tout sauf à un chèque. Bob le prit, fronça les sourcils, et commença à jubiler, à frapper sur le plancher avec ses pieds, et à crier » Hooray! hooray! hooray! ».

Pour Baptiste et Julie, tout se transformait en un conte de fées, avant même que Bob ne se soit décidé à expliquer la teneur du petit papier. Quand enfin, il expliqua, les fiancés ne voulurent pas le croire, et demandèrent qu’on aille chercher l’institutrice qui connaissait l’anglais. Oui ! c’était bel et bien vrai, c’était un chèque de mille dollars, qui avait traîné dans une boîte pendant des mois. Julie et Baptiste purent se marier, mais l’histoire ne dit pas si la nouvelle mariée amena son époux au théâtre, durant leur voyage de noces à Québec !


Une vue du Club House.

Source : Le club Triton
Auteurs :
Sylvain Gingras
Donia Lirette
Claude Gilbert
Page 243 à 247.

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